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Dernière mise à jour : 14.02.2018
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Éric Chalmel

Publié le 09/06/2015 à 14:38 par jlbailly

« Sic itur ad astra », peut-on lire en lettres majuscules sur la verge déployée d’un des personnages de Jean-Louis Bailly : « Avec ça, je t’envoie au ciel », traduit-il lestement. Avec sa Grosse, recueil de micro-nouvelles, il nous propulse au 7e ciel des lecteurs. Un petit ouvrage à glisser sans hésiter dans la valise de vos vacances.


 
C’est connu depuis André Gide, on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments.
L'auteur
Ça tombe bien, Jean-Louis Bailly est un être cruel, ce qui naturellement ajoute à notre plaisir. On devine son rictus lorsqu’il imagine cette femme écrasant le corps épars de son époux métamorphosé en colonie de fourmis. Ou cet homme qui, pour avoir voulu égaliser sa barbe, finit par massacrer femme et enfants,« n’épargnant que le chien ». On ne compte pas les corps mutilés. Ni les manies innocentes qui basculent dans la psychose. On plaint en souriant le pauvre Nicolas : il aime tellement la musique que, dans les raves, il enfonce la tête à l’intérieur des baffles géantes ; il aime tellement la lumière qu’il fixe le soleil… et presque aveugle et assailli par des acouphènes stridents, il devient mendiant au dessus de la sébile qu’il ne voit pas et dans laquelle de rares piécettes en tombant sonnent sans un bruit. On le plaint, ce pauvre Nicolas, mais on sourit in petto à son malheur comme à celui de la plupart des victimes de l’auteur, malheurs dûs à la bêtise, à la méchanceté des autres, à la malchance ou à l’imagination délirante d’un écrivain capable de conjuguer toutes ces calamités pour en faire l’ordinaire de ses personnages, décrit avec calme et minutie, comme si de rien n’était. Or rien ne nous est épargné, et le plus banal dîner en ville révèle en passant, comme une chose ordinaire à laquelle il ne faut pas accorder plus d’importance que cela, un tatouage en latin sur le sexe d’un des convives. Jean-Louis Bailly n’est pas, dans le civil, prof de Lettres pour rien.
Car il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’un jeu – ce qui enlève toutes cironstances atténuantes à l’auteur. Jean-Louis Bailly, pataphysicien renommé, auteur du plus long lipogramme versifié en langue française (texte auquel il manque une lettre), aime se donner des contraintes littéraires. Par exemple, écrire tous les jours une courte nouvelle, pas plus de deux cents mots. Peu importe le genre, tout lui va : policier, fantastique, vaudeville, anticipation, sentimental, absurde, et même, à sa manière de ne pas y toucher, politique, comme avec cette pauvre fille affligée du prénom Marine. Alors posons-nous la question : pourquoi, dans la plupart des cas, lui viennent à l’esprit des histoires sinistres qui nous réjouissent autant ? La réponse nous est connue depuis longtemps : c’est le diable qui tient les fils qui nous remuent, hypocrites lecteurs que nous sommes ! Or Jean-Louis Bailly, s’il n’est pas un diable lui-même, a pour le moins vendu son âme au démon de la littérature. Comme un enfant, il arrache les pattes de ses personnages et nous convie au spectacle minuscule.
Diane au bain, de Boucher, de même que les Métamorphoses d'Ovide, ne sont pas à mettre sous les yeux de tous les enfants dans ce recueil de nouvelles.
Mais comme les meilleures choses ont une fin, Jean-Louis Bailly a décidé que douze fois douze nouvelles, soit 144, serait un bon chiffre. C’est-à-dire Une grosse, le titre du livre. Notons au passage qu’une des nouvelles, intitulée Une grosse, navrante histoire d’un ancien mannequin danois engraissé par son amant jaloux, donne aussi, selon la tradition, son titre au recueil. Une grosse, comme il se doit, à laquelle l’auteur ajoute douze autres nouvelles de la même eau, « treize à la douzaine, le petit geste commercial qui ne coûte guère, mais fidélise la clientèle. »
Pour revenir à Gide et conclure, on pourrait dire que Jean-Louis Bailly a composé une sotie où les fous se sont donné rendez-vous. Nul doute que « la clientèle » se précipitera sur cet excellent nouveau cru du démoniaque Jean-Louis Bailly.
 
Je ne résiste pas au plaisir de chiper une des nouvelles pour vous l’offrir :
 
« 144 – 27 mai
Robinson commençait à sentir ses dents s’allonger, quand la mer jeta sur le rivage, rescapées du naufrage, deux lourdes caisses. La première portait le nombre 144, tracé largement au pinceau. La seconde était vierge. Robinson ramassa une pierre pour défoncer la première.
Elle était emplie de boîtes de conserve d’une prometteuse variété : poissons marinés dans l’huile, pâtés, singe. Robinson décida de se tenir à une boîte par jour, complétée par les fruits que la nature offrait en abondance. Car la noix de coco, ou ces petites baies rouge vif que sa langue aimait plus que ses intestins, au bout d’un moment, ça lasse.
Ses boîtes le nourrissaient et occupaient son temps ; une heure pour ouvrir chacune d’elles avec son seul outil : un peigne d’ivoire.
Il comprit, évaluant le volume de la caisse, que 144 était le nombre de boîtes qu’elle enfermait. La seconde caisse n’était pas moins grosse, qu’il ne pouvait soulever davantage que la première ; cela promettait près de quatre mois de nourriture encore, le temps peut-être pour un bateau de se montrer.
La première caisse mangée, il ouvrit la seconde, un lot de plusieurs milliers d’ouvre-boîtes. »
 
Une grosse suivie d’un petit geste commercial, Jean-Louis Bailly, 2015, Éd. de l’Arbre vengeur, 144 pages (évidemment), 10€. Sortie en librairie vendredi 12 juin.